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Dans les temps anciens, concrètement dans les années 80 à Toulouse, voyait le jour sous le patronage de l'association "Un coup pour rien" et grâce à l'absolue inconscience d'une magnifique bande de passionnés, le magazine Noir  & Blanc. Je vous souhaite d'avoir connu ce bijou qui publia pendant plus de 500 auteurs (la plupart inconnus mais pas tous, sans compter ceux qui, parmi les inconnus d'alors sont devenus des auteurs confirmés) 26 numéros diffusés en kiosque et à chaque fois 40 pages de poésie, de  chroniques, d'articles critiques et de photographies.

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Dans ce magazine, je tenais une chronique intitulée "Amer et contre tout".

Si j'ai un moment, je publierai certains de ces textes à condition que j'estime qu'ils ne sont pas trop référencés (d'ailleurs, je ne doute pas qu'ils le soient : qui, aujourd'hui, se souvient de qui était Nagui ou Jean D'Ormesson !).

Si jamais je parviens à me motiver pour ce travail de relecture et de remise à jour, je peux déjà vous donner le titre du recueil :

"On vivait mieux au temps des anciens francs."

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En attendant, je peux quand même proposer quelques textes actuels. Ponctuellement.

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Une idée neuve : la gestion raisonnée de la consommation.

 

Le bureau est  austère, spartiate même. Il se situe toujours dans l’arrière boutique de la toute première épicerie Lenoir : celle du grand-père. Et même si depuis le site est devenu, par les soins de la Mairie de Landernau et avec le soutien du Groupe Lenoir Busines Sans Frontière (LBSF), le Musée de la Grande Distribution ; même si un fac-similé de ce bureau a été édifié, attenant au premier, afin de l’ouvrir à la visite ; c’est bien dans le seul, l’authentique, l’historique bureau où l’aventure a commencé que Yan Michel Éclair Lenoir nous reçoit.

L’endroit n’a pas changé. Pas de fenêtre. Une armoire métallique d’un vieux gris, assortie au bureau. Un fauteuil de bois au cuir bien fatigué. Une photo des trois générations de managers, quelques crayons dans un plumier d’époque. Aux murs, côtoyant les toutes premières publicités, des graphiques : quantité de graphiques, de toutes les couleurs, de toutes les époques. De belles courbes qui ont en commun de toutes viser le coin supérieur droit. Trois générations d'entrepreneurs : un demi siècle de courbes ascendantes. 

Maintenant, si nous nous approchons du bureau, si nous regardons, par dessus l’épaule de Yan Michel Éclair Lenoir, l’écran de son ordinateur 36 pouces (l’un des seul luxes que cet ennemi de toute ostentation consente à s’accorder), les courbes qui vont s’afficher auront un tout autre profil.

Preuve que la crise n’épargne personne. Pas même les légendes.

« Les chiffres sont à la baisse ». « Notre politique de surexploitation nous mène droit à la catastrophe », « Il est grand temps d’adopter une attitude responsable ». Déclarations tour à tour alarmistes ou volontaristes des leaders du secteur mais qui n’ont pas dépassé le stade du constat ou de la lamentation.

Aujourd’hui, celui qui réagit, celui qui lance la croisade, une fois encore, c’est un Lenoir.

Tout comme son grand-père partit à l’assaut des fournisseurs pour défendre ses clients ; tout comme son père partit à l’assaut des sacs plastiques pour défendre la Planète ; Yan Michel Éclair Lenoir, depuis son poste d’élu au Parlement Européen, part en guerre contre les surcapacités.

« Il y a quelques années encore, les caddies à 500 euros, on en prenait toutes les demi-heures. C’est tombé à quelques uns par jour ou par semaine… et je ne vous cacherais pas que dans certains secteurs que je ne citerai pas, nous savons que nous n’en prendrons plus jamais. »

Alors hier, de ce même bureau de toujours, seul face à l’avenir compromis de tout une filière qui est l’un des fleurons de notre pays, Yan Michel Éclair Lenoir a rédigé son Mémorandum pour une gestion raisonnée de la ressource commerciale.

 

Comme à chaque fois qu’il s’agit de trouver des solutions innovantes et bénéfiques, il se trouve un Lenoir pour relever le défi. YMEL a étudié dans les plus grande universités américaines, il est PDG d’un groupe multinational depuis plus de dix ans, il est élu à Strasbourg depuis l’année dernière, pour autant l’homme n’en est pas moins un exalté qui sait parler vrai et agir pour le bien de tous. Ses mots ne sont pas ceux d’un technocrate. « Si les pêcheurs ont su s’asseoir autour d’une table pour planifier de façon responsable, raisonnée sur le moyen et long terme, les prises de poisson, je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas capable d’en faire de même avec nos clients». « La politique des quotas n’a rien de choquante, elle n’est pas même révolutionnaire, c’est une idée de bon sens. J’espère convaincre nos collègues de la grande distribution mais également ceux des marchés voire même du commerce de proximité que le chacun pour soi nous mène à la catastrophe. »

 

Parmi les propositions de M. Lenoir :

- imposition d’une taille minimum de caddie (en dessous d’un montant à négocier, le client serait relâché en attendant qu’il ait les moyens de réaliser un ticket de caisse plus important)

- instauration de zones non-commerciales pour laisser remonter les finances de ceux qui y vivent

- instauration de jours sans achats

autant de mesures visant, à richesse égale, de rationaliser les dépenses de nos concitoyens.

Le plan, inspiré des accords négociés avec la grande pêche à Bruxelles, prévoit une prime à la casse : l'UE prenant à sa charge le démantèlement de certaines unités soit sur-dimensionnées, soit inadaptées à la prise de gros caddies, soit situées dans les zones décrétées non commerciales.

 

Yan Michel Éclair Lenoir ne cache pas fonder beaucoup d’espérance dans cette démarche de responsabilisation des acteurs du secteur. Il termine en se proposant de prendre la tête de la commission chargée de concevoir, piloter et contrôler un dispositif qui semble d’ores et déjà avoir l’aval des représentants de la profession ainsi que des élus.

« Une nouvelle ère du commerce est en train de se préparer. À nous de nous y adapter », conclut le visionnaire.

Une nouvelle page de la saga des Lenoir est en train de s’écrire, peut-on ajouter.

Le Babybel vert.

 

Il/elle vous rejoint à table avec, sur un plateau, comme sur une corbeille d'offrande aux dieux, un produit ou un plat dont elle/il se fait un devoir de vous annoncer :

il est bio et/ou c'est un petit producteur et/ou c'est cultivé dans le coin et/ou c'est artisanal avec ce petit air entendu qui réclame et/ou exige votre approbation.

Pitié épargnez-moi votre prosélytisme (et/ou terrorisme) d'avisé consommateur suiviste. Je suis toute la journée sur les marchés, je crois pouvoir revendiquer une certaine expérience dans le domaine de la bouffe. Laissez-moi goûter — sans commentaire si possible — si c'est seulement comestible et/ou éventuellement savoureux.

Ça vous fait plaisir, ça vous rassure d'acheter du bio chez LIDL ou du local chez Système U ?

Pas de problème.

Ça ne vous ennuie pas, tout Insoumis que vous êtes, de foncer dans les panneaux du marketing expressément pensé pour vous ?

Pas de problème.

Ce que je réclame est juste de l'ordre de la politesse.

Je réclame de pouvoir me régaler sans que l'on me présente la photo du bouseux qui a trait la vache, de trinquer sans avoir le nom du prestigieux domaine sous les yeux. Pourquoi pas la facture et les certificats d'agrément ISO 9002 et AB pendant que vous y êtes. Un peu de décence quoi merde !

Quand je vous rapporte un Langres ou un Sainte-Maure ou un Gorgonzola, je ne viens pas accompagné d'un sonneur de trompe que je sache. Et les commentaires, éventuellement, si ça vous plait, c'est vous qui les ferez, pas moi.

C'est excellent, qu'est-ce que c'est ?

Si je suis de mauvais poil, je ne réponds même pas et vous fait remarquer que vous l'avez découpé comme des sagouins. Si je suis d'humeur taquine, je vous réponds que ce n'est ni bio, ni local, ni artisanal. Et en dernière extrémité — les jours de grande mansuétude et encore ce sera juste pour vous faire plaisir ­— je peux préciser que c'est fermier. Mais ça, fermier : c'est pas du marketing, c'est pas de la segmentation de marché. Fermier ça implique des règles, un terroir, un savoir faire ancestral.

L'étiquette fermier, c'est pas la grande distribution qui l'a inventée. (Même si actuellement, elle fait des pieds et des mains pour en modifier les règles... en cherchant à imposer le lait pasteurisé. Pour le moment, je dis bien pour le moment, ça tient bon : fermier c'est au lait cru).

Vous ne savez pas ce que c'est que du lait cru !

Désolé, je ne peux rien pour vous.

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Voilà. C'est tout pour aujourd'hui.

Si, une dernière chose. Je sais très bien qu'un jour il sortira un Babybel à peau verte.

Quand je le verrai arriver sur la table, je saurai qu'il est bio.

N'oubliez pas ça : je le saurai ! Alors celui/celle qui croira opportun de me claironner il est bio,

je l'avertis tout de suite : c'est mon couteau à viande dans l'avant-bras.

Voilà, cette fois, c'est vraiment tout.

Le boomerang

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Le boomerang, personnellement j’en reviens pas.

Je n’arrive pas à imaginer qu’un jour un type ait inventé le boomerang.

Ben oui, il a bien fallu l’inventer le boomerang.

Vous croyez peut-être qu’on l’a trouvé tout fait, le boomerang !

Vous êtes gentils, vous croyez quoi ?

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Alors voilà… je me promène en pagne d’auroch dans le bush, je suis un homme des cavernes.

Je trouve un bout de bois tordu, je le regarde sous tous les angles. Il est plié, il est vrillé.

Franchement, il a pas grand chose pour lui.

J’essaie quand même d’imaginer (c’est mon côté sapiens sapiens) j’essaie d’imaginer… je sais pas… sur la tête… autour du cou… bof… non. Franchement je vois pas ce que je pourrais en faire.

En plus, il est tout petit.

Trop petit pour faire un pieu.

Trop raide pour un arc.

Même pas droit donc ni une lance, ni un manche de pioche.

Tu sers à rien Jo le bâton ! Allez zou, dégage !

Je l’envoie valser… et là, pan, il me revient dans la gueule.

Qu’est-ce que je fais ?

Me connaissant, le plus probable, c’est que j’en fasse du petit bois

pour lui apprendre et pour mon feu !

Et encore : je dis ça mais c’est me voir avec mes yeux d’aujourd’hui. Non, si je me remets dans le contexte de l’époque, le plus vraisemblable, c’est qu’il se soit barré en hurlant, Romagnon, mon ancêtre des cavernes. Jurant, la prochaine fois, de faire un grand détour pour éviter cette forêt maudite où les arbres sont malveillants au point de vous revenir entre les deux yeux.

Conclusion formelle donc :

non, le boomerang on ne l’a pas trouvé prêt à l’usage au détour d’un sentier car si tel avait été le cas on aurait succombé de panique avant même d’avoir imaginé son éventuelle utilité.

 

Par voie de conséquence, on est amené à supposer que c’est un gars qui l’a fait de ses mains.

Mais même dans ce cas. Comment imaginer que ce fou ait réussi à imposer son invention ?

Un fou, oui, bien sûr !

Tu veux pas qu’on le traite de fou, un gars qui explique à ses collègues de chasse :

les gars, j’en ai marre d’aller rechercher les flèches, les pierres, tout ça. Je vise comme Jean Paul Sartre, je passe mon temps à aller rechercher les projectiles pendant que vous vous pourléchez de vos proies ! Ça ne peut plus durer ! Je vais combiner quelque chose. Je reviens ne bougez pas et laissez à mon intention un reste de biche ou quoi que ce soit, SVP. Merci les gars.

(Oui, mon ancêtre de l’âge de pierre était poli. On constatera aussi qu’il avait des lettres en dépit de sa fréquentation assidue des hirsutes).

Je vais nous pondre un truc, poursuivait-il que quand tu chasses, si tu manques ton coup, il revient tout seul, vous voyez ?

Non, tout porte à croire qu’ils ne voyaient pas très bien.

Comment auraient-ils vu ?

 

Ils ont dû bien se marrer pendant qu’il faisait ses essais.

T’en es où Romagnon ? Il revient ton machin ?

Non, pas encore mais… ça avance, ça avance.

????

Tu veux dire qu’il revient un peu ? Presque ?? Qu’il…

Non, non, il revient pas mais… mieux qu’avant.

Il n’y avait que lui pour voir la différence entre ce qui ne revient pas et ce qui ne revient pas…

mais mieux.

Il n’y a qu’un inventeur de haut vol pour modifier un truc qui tombe comme une fiente quand il atteint le bout de sa course et l’amener, à force de réglages et de ponçages, à se retenir de tomber jusqu’à ce qu’il soit rendu dans vos parages.

Et voilà, tel est le génie de l’homme que, s’appuyant sur ce mieux dans le non-revenir que lui seul était apte à saisir, il a fait évoluer son prototype jusqu’à le faire revenir.

 

Et puis un jour… un dimanche : ce dimanche où, en prévision, l’on avait empilé au milieu de l’aire un tas impressionnant de bois séché, il a rassemblé la tribu.

Et là, il a lancé l’engin.

Et comme il l’avait annoncé, il est revenu. Pile dans ses mains.

Il sautait comme un cabri.

Tellement il exultait que le gars avec la corde a eu un peu de peine à la lui passer autour du torse. Par contre une fois attaché au poteau sur le bûcher, en moins de temps qu’il n’en faut pour se tailler un cure-dents, il était rôti à la mode de Rouen, le Romagnon.

C’est les copeaux…

Tous ces copeaux qui s’étaient accumulés au fond de sa caverne au fil de ses essais, tu peux pas trouver mieux pour démarrer un feu !

Les copeaux et l’incompréhension.

 

Ce qui fait qu'aujourd'hui  on ne sait toujours pas

ni comment il revient

ni comment il a fait pour parvenir jusqu’à nous,

le boomerang,

du coup.

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