Depuis longtemps je suis passionné de poésie espagnole et catalane.
Pour mon plaisir personnel tout d'abord, ensuite pour le plaisir de la partager dans le cadre des émissions de radio "Les arpenteurs poétiques", j'ai traduit les auteurs que je découvrais.
C'est devenu une vraie passion.
Traduire la poésie catalane et espagnole est l'une de mes activités préférées.
Jusqu'au jour où j'ai décidé de proposer mes traductions aux maisons d'édition françaises.
Quelques extraits
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Garder intact un rose baiser de lèvres
c’est tenter d’allumer un feu
avec des allumettes qui ont déjà servi.
Seuls restent à la mémoire
la mer resplendissante depuis le chemin
et l’ombre de cet arbre fier
où, avec tout ton corps dans ta voix, tu m’as dit
viens.
Brillait au soleil le métal nu
des bicyclettes jetées à terre
l’une sur l’autre.
Du haut de la terrasse blanche
nous nous répartissions le paysage :
à toi la mer,
à moi le bleu.
On riait, on lisait d’antiques épigrammes :
« Puissé-je être le vent,
et toi, marchant dans la lumière, poitrine à découvert,
m’accueillir dans une respiration ! »
et on se déshabillait
comme on aurait ouvert un courrier urgent.
Entre l’eau de la mémoire
et le vin de l’oubli
maintenant je m’en souviens.
Je ne savais pas qu’un jour
je te comparerais à cette ville.
Non plus que j’y reviendrais seul en visite
ni que je t’écrirais cette lettre
pour te dire
que lorsqu’il fait froid dans un pays chaud,
je pense à toi.
Qu’au bazar,
quand il se vend des fruits hors de saison,
je pense à moi.
Qu’au moment où quelqu’un paie plus que le compte
et qu’il se fait voler faute de connaître le change,
je pense à nous.
Force détails de toi
et de nous autres unis
se sont effacés : passent les jours
comme des mains qui auraient cessé de nos caresser.
Je ne sais plus très bien qui tu étais
ni ce que nous nous sommes dit
à la terrasse des cafés,
dans la fumée des pipes à eau :
te voir me grisait
et jouer aux échecs était une excuse
pour contempler tes doigts
bougeant les pièces de ton armée
à mon encontre.
Combien certaines défaites
peuvent arriver parfois à être douces :
ta tour couchant sur l’échiquier
mon roi.
Elles sont nombreuses les nuits
où tu as aligné devant moi
tes pions.
José María Parreño​
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JM Parreño est venu à moi sous les traits d'un respectable professeur à l'Université de Madrid, directeur du Centre d'art contemporain de Ségovie... et puis j'ai découvert qu'il était l'une des figures emblématiques de la Movida madrilène (collaborateur de la mythique revue "Luna de Madrid" et grand ordonateurs des événements poétiques du Madrid des années 80.
Et comme je suis absolument passionné de cette période, je me suis procuré tous ses ouvrages et j'ai commencé à le traduire.
L'anthologie "J'ai aiguisé mes os cette nuit" devrait sortir en 2018. ​
J'ai aiguisé mes os cette nuit, anthologie à paraître dont voici la quatrième de couverture :
La poésie de José María Parreño parle d’amour. Ou pas. Elle est cruelle et sentimentale, intime et saignante, narrative, allégorique, foisonnante, percutante, savante. Inutile d’accumuler les qualificatifs. Plus inutile encore de demander à son auteur de la définir. José María Parreño n’est pas de ceux qui expliquent, qui argumentent, qui décortiquent.
D’ailleurs il se tient toujours un peu comme en retrait de son œuvre.
Laissons-lui cependant la parole par l’intermédiaire de ses doubles de papier, les narrateurs de ses écrits autofictionnels.
Je voudrais que mes livres provoquent un cataclysme chez le lecteur. Que mes mots soient gravés sur les berceaux des enfants, que l'amoureux les garde dans son portefeuille, l'aventurier dans sa poche, sans accorder la moindre importance à l'auteur. Fonder non pas un style mais une nation. Apparaitre non pas dans les anthologies mais dans les atlas, non pour avoir découvert des métaphores mais des continents de l'âme, les abysses du cœur...(Les règles du feu)
Évidemment, des histoires qu’il évoque, toutes sont vraies puisqu’il les a inventées. Ou pas.
J’ai dû l’admettre. Je l’admets aujourd’hui. Je sais qu’au moment où je lèverai la plume du papier, elle et moi, comme je les ai nommés, n’auront jamais existé. Eussent-ils existé que cela n’aurait pas été nous. (Poèmes d’amour ou pas)
Mais laissons le dernier mot au dernier poème de même ce recueil.
ceci n’est pas un poème
pour te conquérir
ballerine
sur le difficile fléau
de la balance
qui pèse amour ou pas
ceci n’est pas un poème
pour te soutenir
équilibriste
sur le seul fil
qui reste
de ce faisceau
qui nous a unis
ce n’est que mon étonnement
devant la fragilité de l’amour
devant le fait qu’il dure
Quelques extraits
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Cela me terrorise intimement
de vérifier que ni les années secrètes qui viendront,
ni le souvenir des images et des dates qui me rendirent heureux,
ni les ciels de Magritte ni les ciels de Velasquez,
que j’aime à égalité,
ni l’assurance qu’une main que je ne verrai pas
me fermera les yeux, (ni l'éventualité que je l’aie déjà serrée),
ni l’aventure immobile de la littérature,
ni les rêves de mes nuits
comme joyaux enchâssés dans la boue,
ni l’exercice oisif des lettres, sa magie,
ni l’arôme des lilas
chaque avril fidèlement répété comme un symbole,
ni ma mémoire gâchée en espérance,
ni l’inutile détresse de battre ou d’oublier
ne me suffisent pour être heureux serait-ce un jour
si tu n’es pas en train de m’aimer
si je ne sens mon corps reprendre de ton corps.
Car tout sur terre se demande en ton nom
parce que tu es
dans l’ouverture de la mer et dans le profil du jonc,
parce qu’aujourd’hui sans toi la vie encombrerait comme un manteau inutile.
Je sais qu’au lever du jour je regretterai
ta tiédeur qu'assiègent les chutes de neige.
Je te sais
oxydée de silence et de novembre
et enserrant tes jambes
et nue.
Se refroidit
la salive à tes lèvres
et même ton ombre est dure.
Dans la chambre
tes bas abandonnés
sont les méduses
d'une mer
où nous n'irons jamais.
Ceux qui adorent le feu
adorent le tissu incombustible même
de la vie,
ce qui tremble entre l’instant suivant
et l’instant passé
comme un oiseau posé sur une artère.
Ils savent que rien ne dure
à la bouche
ni ne se rêve deux fois,
que les caresses émoussent le profil de l’aimé,
que ce qui rend si belles les pupilles abstraites de la vierge
c’est une tâche à la cornée.
Ceux qui adorent le feu
savent que chercher en l’amour foudre constante
c’est chercher des zéros en triangle, le sel du miel,
une mer pourpre et douce.
Ils savent que la tristesse est d’or
et que l’incertitude
est sacrée
comme toutes choses, que le plaisir
est le cadavre encore tiède
du désir.
Ceux qui adorent le feu
qui jamais ne se répète,
qui éclaire et dévore indifférent et pur,
savent que la joie et les pleurs
sont ponctuels au moment de se transformer
et puis de se changer encore,
ils savent qu’il est impossible de trancher si la flamme
brûle plus qu’elle n’illumine.
Ils savent que l’amère distance
entre le corps de l’amant
et celui de l’aimé
est, incroyablement,
le visage maquillé
du bonheur.
Ceux qui adorent le feu
orangé
en aiment aussi un autre
qui crépite en silence autour de celui-ci :
les flammes de l’ombre
où la vie prend feu.
Juan Carlos Mestre
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Traduction de son texte Cavalo morto
our les éditions La voix du poème
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Ana Rossetti
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Traduction en cours de son recueil
Devocionario (Visor de poesía)
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Quelques extraits, à paraître sous le titre :
Le livre des dévotions.
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Au delà de toi, mon bel absent,
l'enfance, en se dépliant,
me montre les images — presque méconnaissables —
de la fillette que je fus au temps où je t'aimais.
Mains jointes sur les fleurs du missel,
blondeur de mes cheveux se cuivrant
—sang et topaze suintent de la voute blessée —
et sur mes joues, une fleur de souci.
Ma ceinture me fait mal de trop de temps passé
sur le prie-Dieu,
à genoux, t'appelant.
Larmes constellant de diamants les retables,
balançant l'inutile encensoir
qui de tes mains pend.
Je voudrais séparer tes rondes ailes
des plis aigus de la poutre dressée
mais tes yeux de bille, à ma prière obstinée
ne sont dociles.
Ni anges, ni archanges
il n’y a plus, dans mes sanctuaires. Ni ne me meurs d’amour.
Mais quand à un garçon je fais cadeau de mes châles,
ou que sur ses bras je passe mes bracelets,
ou qu’à ses chevilles lisses j’enfile l’or,
je ne cherche rien d’autre que tes chevilles roses
parmi l’âpre dentelle,
et ta taille apprêtée comme celle d’une fille
et ta bouche entrouverte
— tes lèvres retouchées d’un violent carmin —
et tes cheveux frisés tombant sur tes épaules
comme un bouquet de lys.
Je n’appelle que toi, que toi
quand j’approche un visage
de sa propre beauté captivé.
Par contre maintenant, je caresse les joues
avant que d’être aimée.
Et embrasse d’abondance avant qu’on l’on ait pu s’y refuser :
ouvertement je défais le heaume.
Je transforme en audace
mon désespoir, statique et secret.
Je ne veux pas m’annihiler.
Je ne veux pas me lier les mains si la beauté existe.
Je ne veux pas, désarmée face à ma propre ardeur,
implorer, passivement,
que le miracle advienne.
C’est si simple de tuer : le monde est fragile
comme une coupe de cristal. Diligents ciseaux
sabres, aiguilles ne sont pas même requis :
impétueux et obstiné
le sang versera son tribut.
C’est si facile de tuer, décapiter des libellules,
transpercer les pupilles immobiles
d’insectes silencieux et, une fois atteinte
la colombe, éparpiller ses atours,
vitrail ténu où l’aile déchirée
bat sur les ruisseaux véloces.
Secouer un rosier jusqu’à ce qu’il s’évanouisse,
incendier les terriers et même faire en sorte,
appuyant sa main folle
au parapet hérissé d’ambre menaçante,
que les géraniums versent leur encre pourpre ardente.
Le bonheur n'existe pas si ce n’est un instant extrême,
une secousse vorace, une douleur rentrée,
une mort peut-être,
cependant que gourmand tu trembles
et que de plus voluptueux que toi il n’y a que l’enfant
qui jamais ne sourit quand absorbé au jeu
il croit qu’on ne le surveille pas.
Enfant d’autant plus impitoyable que tu es innocent,
je distingue dans tes yeux des crimes démesurés
que toi-même tu ne connais pas encore.
Moi, avec mes doigts d’enfant,
de la carpe jaune ou du saumon rosé
j’ai soutenu l’agonie en dehors des étangs.
C’est pour ça que je sais,
que j’espère,
que j’exige de toi sinon
que même si je tremble, même si je meurs
tu ne me lâches avant que je n’aie succombé.
Ceux qui adorent le feu
adorent le tissu incombustible même
de la vie,
ce qui tremble entre l’instant suivant
et l’instant passé
comme un oiseau posé sur une artère.
Ils savent que rien ne dure
à la bouche
ni ne se rêve deux fois,
que les caresses émoussent le profil de l’aimé,
que ce qui rend si belles les pupilles abstraites de la vierge
c’est une tâche à la cornée.
Ceux qui adorent le feu
savent que chercher en l’amour foudre constante
c’est chercher des zéros en triangle, le sel du miel,
une mer pourpre et douce.
Ils savent que la tristesse est d’or
et que l’incertitude
est sacrée
comme toutes choses, que le plaisir
est le cadavre encore tiède
du désir.
Ceux qui adorent le feu
qui jamais ne se répète,
qui éclaire et dévore indifférent et pur,
savent que la joie et les pleurs
sont ponctuels au moment de se transformer
et puis de se changer encore,
ils savent qu’il est impossible de trancher si la flamme
brûle plus qu’elle n’illumine.
Ils savent que l’amère distance
entre le corps de l’amant
et celui de l’aimé
est, incroyablement,
le visage maquillé
du bonheur.
Ceux qui adorent le feu
orangé
en aiment aussi un autre
qui crépite en silence autour de celui-ci :
les flammes de l’ombre
où la vie prend feu.